L’histoire de la contrebasse

La contrebasse, instrument au timbre grave et à la présence imposante, est un pilier fondamental de nombreux répertoires musicaux. Utilisée aussi bien dans les grandes formations orchestrales que dans les ensembles de jazz, elle traverse les siècles en s’adaptant aux contextes et aux esthétiques. Son évolution reflète les mutations de la musique occidentale tout en conservant un socle technique et acoustique profondément enraciné.

Des origines dans la viole de gambe à la naissance d’un instrument indépendant

La contrebasse trouve ses origines à la croisée de deux grandes traditions instrumentales : celle de la viole de gambe, omniprésente à la Renaissance et au début de l’époque baroque, et celle du violon, façonnée par la lutherie italienne du XVIᵉ siècle. Dès cette période, apparaissent de grands instruments à cordes frottées accordés en quartes — à la différence du violoncelle, qui reste accordé en quintes — destinés à assurer les registres graves dans les ensembles instrumentaux.

La naissance de la contrebasse moderne est étroitement liée au développement de la lutherie italienne, notamment à Brescia et à Venise, où des luthiers comme Gasparo da Salò ou Matteo Goffriller conçoivent des instruments aux formes variées, à mi-chemin entre la viole et le violon. À Crémone, en revanche, les grands maîtres tels que les Amati, Stradivari ou Guarneri s’intéressent peu à cet instrument, focalisant leur œuvre sur le perfectionnement du violon et du violoncelle. Ce n’est véritablement qu’à partir du XVIIIᵉ siècle que des centres comme Milan, Florence, ou plus tard Crémone avec la famille Ceruti, intégreront la contrebasse dans leur production instrumentale.

Durant les XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, la contrebasse évolue de façon extrêmement diverse selon les régions : sa taille, sa forme, sa technique de jeu, mais surtout son nombre de cordes varient considérablement. Certains modèles baroques en possédaient jusqu’à six, notamment dans les traditions germaniques influencées par la viole de gambe. En France, les modèles à cinq cordes étaient courants dans les formations orchestrales, tandis qu’en Angleterre, l’usage de contrebasses à trois cordes — souvent inspirées de Gasparo da Salò ou Maggini — resta dominant jusqu’au XIXᵉ siècle. Ce n’est qu’à cette époque, avec l’essor de la facture instrumentale à Mirecourt, Markneukirchen, Mittenwald ou Londres, que la contrebasse adopte progressivement une configuration plus standardisée. L’accord en quartes sur quatre cordes (E–A–D–G) devient la norme, bien que des variantes à cinq cordes ou à extension subsistent encore aujourd’hui dans les répertoires symphoniques.

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L’émergence du rôle soliste : Capuzzi, Dragonetti et les origines du répertoire

À la fin du XVIIIe siècle, la contrebasse dépasse sa seule fonction d’accompagnement pour entamer une reconnaissance progressive comme instrument soliste.

Antonio Capuzzi (v. 1755–1818), compositeur italien à cheval entre classicisme et romantisme, est l’un des premiers à écrire une œuvre concertante majeure pour contrebasse. Son Concerto en ré majeur, probablement destiné à un élève ou collègue virtuose, demeure aujourd’hui une pièce de référence dans le répertoire pédagogique.

Mais c’est Domenico Dragonetti (1763–1846) qui marque un véritable tournant. Né à Venise, il s’installe à Londres où il devient contrebassiste solo à l’orchestre du King’s Theatre et collaborateur de Beethoven. Dragonetti développe une technique puissante et novatrice, popularisant l’usage de la contrebasse comme instrument à part entière, capable de lignes mélodiques exigeantes, de virtuosité et de puissance expressive. Ses sonates et ses concertos influencent durablement la place de l’instrument dans le paysage musical européen.

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L’ère romantique : Bottesini et l’apothéose de la virtuosité

Le XIXe siècle voit l’épanouissement complet de la contrebasse en tant qu’instrument soliste avec Giovanni Bottesini (1821–1889). Surnommé le « Paganini de la contrebasse », Bottesini allie une maîtrise technique hors norme à une sensibilité musicale profonde. Il compose plusieurs concertos, des Élégies, des variations brillantes et de nombreuses pièces pour contrebasse et piano.

Également chef d’orchestre et compositeur d’opéras, Bottesini contribue à faire reconnaître l’instrument dans les cercles académiques, tout en influençant la facture instrumentale : il joue notamment sur un modèle exceptionnel construit par Testore, dont les dimensions et la sonorité ont marqué toute une génération de musiciens.

L’ancrage orchestral : Beethoven, Berlioz, Wagner

Parallèlement à cette affirmation soliste, la contrebasse consolide sa place dans l’orchestre symphonique. Beethoven l’utilise pour renforcer la ligne grave mais aussi comme masse dramatique indépendante, notamment dans ses symphonies les plus abouties.

Au XIXe siècle, des compositeurs comme Berlioz ou Wagner explorent ses capacités dynamiques et expressives dans des contextes orchestraux denses et complexes. Le jeu en section, l’usage de l’archet dans les passages intenses, et les effets de texture (trémolos, harmoniques, unissons graves) deviennent des procédés courants.

Le tournant du XXe siècle : la contrebasse dans le jazz

Le XXe siècle marque une rupture esthétique avec l’apparition de la contrebasse dans les musiques afro-américaines et notamment dans le jazz. Elle remplace progressivement le tuba comme fondation harmonique et rythmique dans les formations de jazz New Orleans, puis devient incontournable dans le swing, le bebop, le hard bop et les courants modernes.

Le jeu pizzicato s’impose, avec le développement du walking bass comme figure stylistique. L’instrument devient un vecteur d’improvisation et de liberté expressive. Jimmy Blanton, Oscar Pettiford, Charles Mingus, Paul Chambers ou encore Ron Carter repoussent sans cesse ses limites en mêlant groove, virtuosité et expressivité.

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Héritage contemporain et perspectives

Aujourd’hui, la contrebasse est un instrument aux multiples facettes. Elle conserve une place fondamentale dans les orchestres classiques et les ensembles baroques sur instruments d’époque, tout en occupant une position centrale dans le jazz contemporain, les musiques improvisées, la scène expérimentale et les musiques actuelles.

La lutherie contemporaine perpétue les traditions artisanales, tout en intégrant de nouveaux matériaux (carbone, composites) et des systèmes d’amplification de haute précision. De nombreux luthiers réinterprètent aujourd’hui les modèles historiques pour répondre aux exigences techniques et ergonomiques des contrebassistes professionnels.

En conclusion

Instrument hybride par excellence, la contrebasse est à la fois racine et sommet. Elle puise dans une histoire complexe, s’impose dans des esthétiques variées, et continue d’évoluer entre tradition et innovation. Sa trajectoire reflète une rare capacité d’adaptation, mais aussi une profondeur d’expression qui dépasse les simples fonctions harmoniques ou rythmiques.

La contrebasse incarne une voix grave, souvent discrète, mais toujours essentielle.